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A. Makine "Le testament français"

Par Valérie Goudoskaia, 17 ans, étudiante à Saint-Pétersbourg

La France. Êtes-vous sûrs que vous la connaissez, que vous la comprenez ?

En effet, chaque personne la voit de ses propres yeux. A chacun elle offre des aspects différents. Sa beauté, sa force, sa contradiction, ses odeurs, ses sons …

Dans le roman "Le testament français" A. Makine décrit la France d’une manière inattendue à travers le prisme des impressions personnelles d'une personne élevée par sa grand- mère française sur la terre russe. Le héros du roman parlant de lui à la première personne est élevé avec sa soeur par sa grand-mère française.

Quand ils étaient petits, ils passaient toutes leurs vacances d'été dans la petite ville de Saranza au bout de la steppe russe, où habite leur grand-mère née au début du siècle en France. Charlotte Lemonnier s'est trouvée en Russie par hasard, quand elle était partie chercher pendant la guerre civile sa mère Albertine. Albertine a refusé de quitter la Russie, car son époux Norbert Lemonnier, qui travaillait comme médecin en Russie, était décédé. C’est pourquoi elle a décidé de rester pour toujours près de sa tombe. Charlotte tente de ramener sa mère dans son pays natal, car en Russie c’était la guerre civile, mais on lui prend son passeport français, on l'arrête, et par conséquent toute sa vie elle vivra ici en Russie. Mais la France de sa jeunesse, la France inaccessible restera pour elle la plus belle chose au monde.

Et voici que le soir la mamie et les enfants sont assis au balcon de leur petit appartement. Les enfants ont appris à parler français. Chaque soir la mamie leur lit quelques passages des classiques français ou leur raconte des souvenirs de sa patrie éloignée.

 "Le soir, nous rejoignîmes notre grand-mère sur le petit balcon de son appartement. Couvert de fleurs, il semblait suspendu au-dessus de la brume chaude des steppes. Un soleil de cuivre brûlant frôla l'horizon, resta un moment indécis, puis plongea rapidement. Les premières étoiles frémirent dans le ciel. Des senteurs fortes, pénétrantes, montèrent jusqu'à nous avec la brise du soir.

Nous nous taisions. Notre grand-mère, tant qu'il faisait jour, reprisait un chemisier étalé sur ses genoux. Puis, quand l'air s'était imprégné de l'ombre ultramarine, elle releva la tête, abandonnant son ouvrage, le regard perdu dans le lointain brumeux de la plaine. N'osant pas rompre son silence, nous lui jetions de temps en temps des coups d'oeil furtifs: allait-elle nous livrer une nouvelle confidence, encore plus secrête, ou bien, comme si de rien n'était, nous lire, en apportant sa lampe à l'abat-jour turquoise, quelques pages de Daudet ou de Jules Verne qui accompagnaient souvent nos longues soirées d'été? Sans nous l'avouer, nous guettions sa première parole, son intonation. Dans notre attente–attention du spectateur pour le funambule – se confondaient une curiosité assez cruelle et un vague malaise. Nous avions l'impression de piéger cette femme, seule face à nous...

Nous voyions maintenant sortir de cette marée fantastique les conglomérats noirs des immeubles, les flêches des cathédrales, les poteaux des réverbères – une ville! Géante, harmonieuse malgré les eaux qui inondaient ses avenues, une ville fantôme émergeait sous notre regard…

Soudain, nous nous rendîmes compte que quelqu'un nous parlait depuis déjà un moment. Notre grand-mère nous parlait!

- Je devais avoir à l'époque presque le même âge que vous. C'était en hiver 1910. La Seine s'était transformée en une vraie mer. Les Parisiens naviguaient en barque. Les rues ressemblaient à de grands lacs. Et ce qui m'étonnait le plus, c'était le silence…

Sur notre balcon, nous entendions ce silence sommeillant de Paris inondé. Quelques clapotis de vagues au passage d'une barque, une voix assourdie au bout d'une avenue noyée.

La France de notre grand-mère, telle une Anlantide brumeuse, sortait des flots. (р.27-29)

Dans la conscience des enfants, pour la première fois la France de la jeunesse de leur grand-mère s'associe au mot "l'Atlantide" (le continent féerique qui a disparu dans les ondes brumeuses de l'océan).

La grand-mère vit dans le monde de sa jeunesse, qu’elle tâche d’ouvrir à ses petits-enfants.

À Moscou ou à Leningrad tout se serait passé autrement. La bigarrure humaine de la grande ville eût effacé la différence de Charlotte. Mais elle s'était retrouvée dans cette petite Saranza, idéale pour verve des journées semblables les unes aux autres. Sa vie passée demeurait intensément présente, comme vécue d'hiver. (p.37)

Les enfants sentent l’originalité de leur baboucka, elle ne ressemble pas à d'autres vieilles russes assises sur les bancs dans la cour devant leurs maisons.

Bien plus que ses habits ou son physique, c'étaient ces petits signes qui nous révélaient sa différence. Quant au français, nous le considérions plutôt comme notre dialecte familial. Après tout, chaque famille a ses petites manies verbales, ses tics langagiers et ses surnims qui ne traversent jamais le seuil de la maison, son argot intime.

L'image de notre grand-mère était tissée de ces anodines étrangetés – originalité aux yeux de certains, extravagances pour les autres. Jusqu'au jour où nous découvrîmes qu'un petit caillou couvert de rouille pouvait faire perler des larmes sur ses cils et que le français, notre patois domestique, pouvait – par la magie de ses sons – arracher aux eaux noires et tumultueuses une ville fantasmatique qui revenait lentement à la vie.

D'une dame aux obscures origines non russes, Charlotte se transforma, ce soir-là, en messagère de l'Atlantide engloutie par le temps. (p.41)

Pendant ces soirées infinies et magiques au balcon les enfants tentent de comprendre l'essence mystérieuse de la France.

La France-Atlantide se révélait une gamme sonore, colorée, ordonante. Suivant nos guides,nous découvrions les tons différents qui composaient cette mystérieuse essence française.

L'Élysée apparaissait dans l'éclat des lustres et le miroitement  des glaces. L'Opéra éblouissait de la nudité des épaules féminines, nous enivrait du parfum qu'exhalaient les splendides coiffures. Notre-Dame fut pour nous une sensation de pierre froide sous un ciel tumultueux. Oui, nous touchions presque ces murs rêches, poreux – un gigantesque rocher, modelé, nous semblait-il, par une ingénieuse érosion des siècles…

Ces facettes sensibles traçaient les contours encore incertains de l'univers français. Ce continent émergé se remplissait des choses et des êtres. (p.50)

À un de ces soirs d'été extraordinaire s'enivrant de la respiration odorante des steppes, les mots d’ un passant sous le balcon ont arraché les enfants de leurs rêves : il s'agissait de la sortie de l’homme à l'espace.

Cette discussion nous ramena à la réalité. Autour de nous s'étendait l'énorme empire, puisant un orgueil particulier de l'exploration de ce ciel insondable au-dessus de nos têtes. L'empire avec sa redoutable armée, avec ses brise-glace atomiques éventrant le pôle Nord, avec ses usines qui devaient bientôt produire plus d'acier que tous les pays du monde réunis, avec ses champs de blé qui ondoyaient de la mer Noire jusqu'au Pacifique… Avec cette steppe sans limites.

Et sur notre balcon, une Française nous parlait de la barque qui traversait une grande ville inondée et accostait le mur d'un immeuble… Nous secouâmes en essayant de comprendre où nous étions. Ici? Là-bas? Dans nos oreilles s'éteignait le chuchotement des vagues. 

Non, ce n'était pas la première fois que nous remarquions ce dédoublement dans notre vie. Vivre auprès de notre grand-mère était déjà se sentir ailleurs. (p.32-33)

Peu à peu les enfants commencent à sentir un certain dédoublement dans leurs vie.

Une fois, la baboucka parlé aux enfants de la visite en France du jeune Nikolas II accompagné de son épouse Alexandra Fiodorovna et de leur fille de six mois Olga. La babouchka leur a lu les lignes poétiques imprimées dans le vieux journal. Les vers parlent spécialement de la Russie et ont été lues pendant une représentation à la Comédie Française.

Alexeï sent de nouveau l'appartenance à un monde étranger, le monde de sa jeunesse de grand-mère qui devient maintenant son monde à lui.

Il est un beau pays aussi vaste qu'un monde

Où l'horizon lointain semble ne pas finir

Un pays à l'âme féconde,

Très grand dans le passé, plus grand dans l'avenir.

Blond du blond des épis, blanc du blanc de la neige,

Ses fils, chefs ou soldats, y marchent d'un pied sûr.

Que le sort clément le protège,

avec ses moissons d'or sur un sol vierge et pur!

Pour la première fois de ma vie, je regardais mon pays de l'extérieur, de loin, comme si je ne lui appartenais plus. Transporté dans une grande capitale européenne, je me retournais pour contempler l'immensité des champs de blé et des plaines neigeuses sous la lune. Je voyais la Russie en français! J'étais ailleurs. En dehors de ma vie russe. Et ce déchirement était si aigu et en même temps si exaltant que je dus fermer les yeux. J’eus peur de ne plus pouvoir revenir à moi, de rester dans ce soir parisien. En plissant les paupières, j’aspirai profondément. Le vent chaud de la steppe nocturne se répandait de nouveau en moi. (р.57) 

Charlotte agit magiquement sur ses petits-fils. Elle les hypnotise par son monde. Les mots «la magie», «l'hypnose» souligne sa forte influence sur son petit-fils et sa petite fille.

Nous les lecteurs, nous sommes pris aussi par le charme de ses récits.

 

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