Printemps 1979. Les rayons de soleil emplissent de joie une petite ville provinciale sur l’Oural, font une apparition sur les vitres des maisons lustrées.
On entendait une mélodie inconnue et rythmée au refrain récurrent dans nos mémoires: "Ciao, bambino, sorry..." qui coulait des fenêtres ouvertes en grand des maisons grises de quatre étages construites à la Nikita Khrouchtchev.
Après les classes une fillette aux lunettes, à la natte châtain claire et serrant dans sa main droite un cartable marron cheminait en compagnie de ses deux copines. La voix de cette chanteuse inconnue a tellement bouleversé le coeur de cette fillette, élève de 3e classe qu’en courant dans l’appartement, sur le pas de la porte elle a commencé à demander à sa mère, à son père et à son frère, élève de grande section, à qui appartenait la voix retentissante de la radio.
C’est le frère aîné, Victor, qui avait retenu le prénom de cette jeune chanteuse. Il a regardé sa soeur et lui a répondu d’un air hautain "lui, LE GRAND connaisseur":"Une Française. Mireille Mathieu".
De jour en jour la popularité de Mireille Mathieu grandissait, Mireille devenait plus célèbre dans les vastes étendues de l'immense Union Soviétique.
Un peu plus tard la fillette, prénommée Valia, a pu trouver le premier disque avec quelques chansons de Mireille Mathieu dans une revue, " Horizon", que l'on pouvait seulement acheter au kiosque "Imprimerie de l'Union".
A son tour, Victor s’est amusé avec sa soeur cadette à enregistrer le concert de la jeune et belle Mireille Mathieu sur le magnéto. C’était un cadeau inestimable pour Valia.
Chaque soir dans ce petit appartement de deux pièces, se déroulaient de traditionnels rituels... Victor, habillé d’un costume sportif bleu foncé, allait et venait d'un air important à travers la salle, et répétait avec un grand plaisir des mots français. Il était très friand de musique et de langue françaises! Sa soeur ne cachait pas son admiration ni la jalousie qu’elle ressentait envers son frère, lui qui savait articuler chaque mot avec une prononciation française enchanteresse.
En effet Victor étudiait depuis quelques années cette belle langue qu’est le français à l’école № 18 avec son professeur nommé Nonna Nikolaevna Milutz.
Pendant ce temps sa soeur cadette Valentina aidait Victor à apprendre par coeur de nouveaux mots français. Victor ouvrait (inaugurait) le vocabulaire dans un cahier épais à la converture d’un cuir artificiel noire où chaque page était divisée en deux colonnes: "Un mot français – un mot russe". Il demandait à sa soeur de lui lire les mots en russe. Sa soeur, ayant rajusté de l’index ses lunettes sur la racine de son nez, prenait un air sérieux, examinateur, et lisait à haute voix les mots qui étaient inscrits d’une très belle écriture et d’un excellent orthographe russe:
Et ainsi de suite…
L’année scolaire finissait. Notre professeur principal Tatiana Vassiliévna Choukchina commença à diviser notre classe en trois groupes: les enfants du premier groupe apprendraient l’anglais, ceux du second groupe – l’allemand et ceux du troisième groupe le français. Mon amie Olga Baranoff et moi, nous devions apprendre l’anglais.
Nous avons éprouvé un grand choc... nous nous sommes adressées à Tatiana Vassiliévna avec cette unique prière de nous inscrire dans le troisième groupe, celui des enfants qui auront cette chance d'étudier cette merveilleuse langue, "le français"! Très surprise, notre professeur céda devant notre charme et notre argument de taille.
"Mon frère apprend le français, il pourra m’aider!" avait dit Valia.
"Moi aussi, je veux apprendre la langue française. Nous sommes amies avec Valia et de plus cette langue me plaît beaucoup!" avait dit Olga.
Dès la rentrée scolaire, les études de français ont débuté. Nous étions heureuses ! Notre premier professeur de français était comme une Française. Elle était svelte, gentille, notre chère Nathalie Grigorievna Taguiltseva (Touraiéva).
Me voilà ensuite en 7è. J’ai gagné une olympiade de français à l'institut pédagogique T.G. Chévtchenko, une ville voisine d'Orsk. Beaucoup d'élèves y ont participé, mais c’est moi qui l’ai remporté ce prix! Je peux dire que cette première victoire m'a vraiment donné des ailes. J’ai décidé de devenir professeur de français!
Chaque année dans notre école №18, nous organisions des semaines consacrées à la langue française et nous, Olga et moi, participions activement aux concours, aux victorines. Olga dessinait bien les affiches et moi, j'éсrivais des textes.
Ces années scolaires "si longues", ont trop vite passé. Mais ma passion pour l'enseignement de la langue française aux enfants est devenue de plus en plus forte. J'avais une immence envie de rentrer et de faire mes études à l'institut pédagogique à la faculté linguistique de Gorki (Nijni Novgorod), à Moscou... Mais notre famille n'avait pas les moyens finançiers pour m’envoyer étudier loin de notre région. Nous joignions les deux bouts. Nous ne pouvions pas acheter de billet pour y aller. Ma mère Liouba était catégoriqement contre mon départ dans une immense ville, bruyante et inconnue où personne ne m’attendrait.
Pas le choix, il ne me restait plus qu'à entrer à la faculté prestigieuse de langues vivantes de l'institut pédagogique d'Orsk. Oh ! Des années inoubliables pour moi, l'époque où j'étais insouciante et où j'étais étudiante! Avec un grand plaisir et une grande application, je faisais mes études. Je suivais ma propre devise "mieux vaut réjouir mes instituteurs que les chagriner".
J'ai eu de la chance, car j'étais entourée par des professeurs de talent, érudits et dont les yeux étincelaient, comme ceux de ma première institutrice Bodrikova Galina Nikolaévna, de nos phonéticiennes Chidlovskaia N.V., Chévélyova A.G., de nos grammaticiennes Issénbaieva G.I., Moullakhmetova F.M., de notre institutrice de la langue française Pivovarova V.V., du spécialiste principal de l'histoire de la littérature française Mazka G.T., et de notre unique "femina dorta" de latin Ivantsova N.Y. Cette pléïade magnifique m'a indiqué le chemin dans ma vie professionnelle, comment enseigner aux fillettes et aux garçons la langue française, sans intérêt sans formalité et sans routine.
De retour chez moi après les cours, je branchais le tourne–disque de mon frère et je mettais doucement le disque à la voix veloutée de Mireille Mathieu et je chantais avec elle, en prononçant chaque son. Ces chansons interprétées par Mireille Mathieu me servaient toujours et me servent encore maintenant, mieux qu'un manuel de phonétique française.
En 1991 dans notre ville provinciale le premier gymnase a été ouvert.
Sur l'invitation de la directrice Mme Artemieva S.A. mon activité professionelle a débuté à la cinquième année de l'institut. J'enseignais l'allemand à l'école primaire, le latin à l'école secondaire et le français aux dernières sections.
Grâce au soutien de l'administration et à celui de mes fidèles collègues, je travaille maintenant au gymnase depuis 20 ans. Avec un immense intérêt, j'offre toutes mes connaissances à une nouvelle génération de "gymnasistes".
Chaque professeur est fier des succès de ses élèves, et moi aussi, je ne suis pas une exception. Mes écoliers d'hier sont devenus des personnes totalement accomplies, de remarquables spécialistes.
Je voudrais nommer mes étoiles: Alla Tarassova, gagnante de l'Olympiade de français de Russie (de tout le pays ), Alexei Turine, qui a été un des premiers de notre ville a avoir passé l'examen international DALF, Viatcheslav Vassiliev qui a gagné le concours de français et qui grâce à cette victoire a été admis en 1ère année à l'Université d'Etat de Tcheliabinsk à la faculté de comminications linguistique; et encore Margarita Possélianina qui a gagné la coupe d’argent à l'Olympiade régionale de la langue française, Alena Astanovitch, gagnante et lauréate des olympiades intra-scolaire et de la ville, Timour Youssoupov, excellent étudiant de 5ème année d'Alma Mater, qui fait son stage pédagogique au sein de notre gymnase. Il n’y a pas longtemps Viatcheslav, Margarita et Alena ont fini leurs études à l'institut spécialisé de traduction. Au mois de juin 2009 Véra Martchénko a très bien terminé ses études à l'institut pédagogique d’Orsk et depuis un an elle enseigne à l’école № 15 de Novotroitsk.
Chaque année des écoliers tombent sous le charme de la langue française,. Cela signifie que de nouvelles étoiles s'allument sur la route céleste du gymnase.
Voici la liste de ces étoiles :
Sédaikine Kirill
Yakchibaeva Margarita
Gousseva Ekaterina
Poliakova Nastia
Moukhametchina Naila
Popova Olga
Ponomareva Victoria
Bogorodskii Ilya
Jarikova Alexandra
Pobédinskaya Elena
Rojnovskii Daniel
Sapina Sinbat
Popkova Alexandra
Ambartsoumian Tatevik
Gousseva Polina
Golotchapova Nadejda
Davidkin Nikolay...
Mon unique fille Elisabeth adore comme moi le français et cette superbe et incomparable Mireille Mathieu! Elle apprend la langue française et chante en français.
En été 2005 mon rêve s’est réalisé. Malgré tous les malheurs et les échecs qui m'entouraient dans ma vie privée, Dieu m'a permis de faire connaissance avec un Français et m’a donné la chance de visiter la France.
Mon séjour à Paris a été court, mais heureux et rempli d'inoubliables souvenirs.
A Paris j’ai compris que cette ville est une capitale internationale... Par exemple, les stations de métro et les lieux historiques unissent le passé et la mémoire de différents peuples et nations avec leur nom, la place de Stalingrad, celle de Crimée, de Normandie Niémen, la place d'Italie et tant d'autres.
Le premier jour de mon arrivée je me suis perdue dans le métro. Plusieurs Français s’approchaient de moi et m’aidaient. Ils étaient vraiment polis, attentifs, gentils.
2005, Paris. Les Champs-Elysée. C’est ici que l'on a tourné ce documentaire sur moi, simple professeur d'une ville provinciale de l'Oural. Une vieille Indienne vêtue en robe de "Blanche Neige" à capuche interrompit l'entretien et s’est exclamée: "Voilà pourquoi elle parle si bien le français, c’est parce qu'elle est prof!" Cette phrase entendue de la bouche de cette étrangère reste pour moi la meilleure critique. Cela signifie que tous les efforts de mes enseignantes ont été récompensés.
En septembre 2006, j’ai accueilli un Français dans ma petite ville provinciale de l'Oural. Il faut savoir qu'elle n’apparaît pas sur la carte de la région d'Orenbourg et que nous appellons ces villes "Gloubinka".
Au gymnase où j'enseigne j'ai organisé une pièce mémoriale consacrée aux héros de guerre, aux aviateurs russes et français de l’escadron “Normandie – Niémen”. Je crois qu'il est intéressant de savoir que notre compatriote Sibirine Semen Alexeivitch a sauvé la vie du pilote Français André Largeau.
Au mois de mai 2010, à l'occasion de l'anniveraire de la Victoire de 1945, nous avons félicité Monsieur le Président de la République Française Nicolas Sarkozy, ainsi que le Président de la Russie Dmitriy Médvedev et Madame la Directrice du musée Les Andélys "Normandie-Niémen" Nathalie Fagnou.
Nous profitons de chaque occasion pour inviter des Français dans notre gymnase et ces derniers laissent des écrits dans notre livre d'honneur.
Je me souviens de tous mes professeurs avec tendresse et reconnaissance. Car ce sont eux qui mise sur mon chemin professionel actuel. Ceux sont eux qui m'aident depuis le début et eux qui m’ont donné les conseils et les recommandations dont j’avais besoin.
Ce vieux disque de 33 tours tourne encore et au loin, cette voix pure et puissante qui retentit est celle de Mireille Mathieu qui prononce "Ciao bambino! - Sorry…"
Mon destin pédagogique a été défini par M. Mathieu, mon frère Victor et mes professeurs.
Quel article émouvant, et
Quel article émouvant, et comme vous racontez bien !
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