La chorale russe de Renoir

On vient d'expulser Soljénitsyne. D'autres dissidents soviétiques parlent et écrivent nombreux. Les virus de la vie russe autour de l'Archipel dessinent un idéal antipode du pays de Cocagne. L'imagerie médicale du "Pavillon des cancéreux" submerge la prise de conscience vis-à-vis des blinis, samovars, Michel Strogoff et Tolstoï. Enfin, les sauts de Noureîev en liberté sont au moins aussi hauts que ceux des danseurs du Bolchoï…

Un joli-sacré bouquet de circonstances pour un jeune communiste de 25 ans qui débarque sur le quai de la Gare des Bénédictins à Limoges avec comme mission l'assistanat de russe dans quatre établissements limougeauds. Cravaté et mate. Avec une coupe de cheveux qui n'existe nulle part ailleurs qu'en URSS et en Corée du Nord.

C'était moi,ce "Charbovari" du premier chapître du livre immortel.

La Gare des Bénédictins… Ma bénédiction m'attend là-haut (il faut monter l'escalier roulant), ce"Très-Haut" c'est le professeur de russe Monsieur Raymond Soustrot. Tout son visage sourit, une chaleur tout à fait paternelle en émane, il expose un journal russe et m'ayant repéré (sûrement en raison de mon aspect vestimentaire et de mon visage d'oiseau mazouté), il dit:"Zdrastvouîtè".

Pendant ces inoubliables deux années qui vont suivre cet homme fera tout son possible pour moi et mon travail, c'est en grande partie grâce à lui que j'entendrai 30 ans plus tard après une longue séparation mes deux amis français et un britannique me dire:"Nous t"avons respecté ces trente ans parce qu"autrefois pendant deux ans tu n'as jamais blâmé notre régime et ne laissais blâmer le tient sans être malin avec ça".

"Où est le commencement de nos actes?" (se) demandait François Mauriac. Où est le commencement de notre amour, de mon amour pour la France? Il doit être là en Limousin, mon berceau, tendre et solide d'un amour qui durant de bonnes dizaines d'années n'a commis aucun adultère.

Ci-après ma propre acupuncture française contre tous les maux et les ennuis, les voici les pétales de cette belle fleur tricolore: 

• à l'époque du début du présent témoignage j'ai été frappé, même choqué par … l'âge des deux héros français: 17 ans de la Pucelle d'Orléans à Rouen et 19 de Vercingétorix près de Gergovie ! De vrais "enfants" de la Patrie !
• ma ceinture noire et 5 Dan en karaté ainsi que ma renommée d'un des premiers promoteurs de cet art martial, je les dois au Judo Club Limousin, où j`ai commencé à pratiquer le sport défendu alors dans mon pays
• je me suis baigné trois fois dans l'Atlantique et (incroyable!) chaque fois à la Toussaint  (début novembre…) : la première fois-à Royan sur la plage du Pigeonnier, le "récidif" s'est opéré quand  j'ai accompagné un heureux gagnant du concours international de la"Poésie en liberté" pour la remise du Prix (cette fois c'était la Manche) et mon troisième "baptême" a eu lieu aussi en Normandie quand deux de nos étudiantes russes soutenaient leurs thèses en cotutelle !
• au lycée qui porte le nom d'un auguste maître de peinture Auguste Renoir (limogeaud) j'ai monté une chorale des élèves à qui j'enseignais le russe. Nous chantions la fameuse"Kalinka","Le sorbier de l'Oural","Les adieux à "Orlonok"... Le plus marrant pour mes jeunes chanteurs c'était quand le chef (moi-même) levait les bras en faisant des mouvements rotatifs ce qui épousait l'emblématique crescendo de"Kalinka". Les chanteurs étaient très appliqués, chantaient bien, si bien que la chorale a chanté à la fête du lycée dans le CCS municipal ! Avant mon retour en Russie ma "classe chantante" a donné un superbuffet avec bortch et blinis…je pleurais…

Sans vouloir inviter mes gentils/gentilles collègues à faire du karaté ou à fendre les eaux atlantiques le 1 novembre, pour autant je me permettrais de supposer que les bons souvenirs nous guident comme des phares vers lesquelles nous revenons pour nous ressourcer.

La France est à découvrir pour toute la longue vie de ses admirateurs. J'aime ma Russie tout en restant accro passionné d'un hexagone aménagé avec un goût sans pareil, d'un si beau pays ayant de si riches et uniques acquis culturels.

La photo en-dessus a été légendée par Monsieur Soustrot par les paroles de Maxim Gorkii: "A la folie des vaillants chantons nous la gloire!"